Harry Potter ou l'anti-Peter Pan

[Silvertongue]

Harry Potter ou l'anti-Peter Pan (sous-titré Pour en finir avec la magie de l'enfance) est le titre d'un livre de Isabelle Cani paru très récemment et qui est à ma connaissance le premier ouvrage en français prenant en compte l'ensemble de la septologie.

Isabelle Cami repose la question qui était déjà celle de Isabelle Smadja dans son petit livre Harry Potter, les raisons d'un succés. Mais elle a sur Smadja l'avantage de connaître toute l'histoire alors que la précédente avait publié son livre avant la sortie du tome 5. La thèse de Cami est simple : ce qui fait le succès de Harry Potter, c'est que Rowling prend, selon elle tout à fait consciemment et avec beaucoup de talent, le contrepied du mythe qu'est devenu Peter Pan. Pour être plus explicite, alors que Peter Pan repondait au refus de grandir que chacun de nous éprouve ou a éprouvé en nous emmenant dans un monde où le temps n'existe pas plus que le principe de réalité, Harry Potter ne nous parlerait de magie que nous apprendre à devenir adulte et à ne pas céder à une des tentations de notre temps qui consiste à fuir la réalité et le monde des adultes.

Présenter de cette façon, la position peut paraître assez paradoxale. Tous les lecteurs de Harry Potter, et les autres aussi d'ailleurs, savent bien que le monde du petit (enfin de moins en moins petit) sorcier à lunettes est truffé de baguettes et de créatures magiques. Tout le travail de Cani est donc de montrer les multiples glissements opérés par l'auteur pour nous faire fuir les sirènes d'un miroir du RisèD qui, nous le savons depuis le tome 1, conduit à la mélancolie ou à la folie. Elle défend l'idée que Rowling détourne son lecteur d'un tel miroir, avec douceur et subtilité, pour lui faire éprouver la nécessité de ne pas en rester à l'irresponsabilité caractéristique de Peter Pan.

Il y a quelque temps déjà, Loreleï disait souhaiter une suite au livre de Smadja. Ce livre est sans doute ce qui s'en rapproche le plus. Cani cite d'ailleurs Smadja à plusieurs reprises.

Je dois avouer que si certaines interprétations de Cani me laissent un peu dubitatif, j'ai lu son livre avec beaucoup d'intérêt et je pense qu'elle a vraiment exposé une des raisons, si ce n'est LA raison qui explique le succés incroyable de la série. Le tout est soutenu par des analyses souvent très fines. Par exemple, Cani explique assez bien (si l'on admet le reste de ses thèses) pourquoi Harry ne voit même pas sa mère lorsqu'il plonge dans le pire souvenir de Rogue au tome 5 - sujet dont nous avions assez longuemment discuté (voir entre autres).

Le livre est mené avec beaucoup de finesse et mérite, à mon avis d'être lu par tous les Sleuths. Par exemple, j'ai apprécié que Cani prenne le risque d'une confrontation avec les livres de Horowitz - et parvienne à me convaincre qu'il s'agit non d'un plagiat, mais d'un règlement de compte littéraire (ce qui est tout différent). L'auteur affirme qu'Horowitz est totalement pris dans le mythe de Peter Pan duquel Rowling tente de se (et surtout de nous) détacher.


Pour les infos pratiques, le livre de Isabelle Cani coûte (tout de même) 19 euros et est publié chez Fayard.
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Every small, unselfish action nudges the world into a better path. An accumulation of small acts can change the world.

D-VO-Vivant

[Lorelei]

Je viens d'aller voir la fiche sur Amazon. Cette thèse à vraiment l'air intéressante et comme tu le soulignes c'est la première à analyser la spetologie en entier.
Merci pour l'info
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"Il comprenait à présent qu'il y avait plus d'honnêteté dans un égoïsme sain que dans une vague prétention de bienfaisance, et que c'était certainement moins dangereux pour l'entourage." J. Gregory Keyes Trilogie L'Age de la déraison/ T2 L'Algèbre des Anges

[Artémisia]

Oui, cela a l'air intéressant, mais ce que tu exposes là, Silvertongue, n'est-ce pas le principe même de tout conte ou roman "initiatique" de qualité, à savoir de faciliter le passage de l'enfance à l'âge adulte ? Que ce soit Bilbo, "le Passage" de Sachar, "Tom et le jardin de minuit" et bien sûr notre cher Harry ?
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Celle que l'on appelle rose, porterait-elle un autre nom, elle n'aurait pas plus doux parfum...

D-VO-VIVANT

[Silvertongue]

Disons que la thèse de Cani, c'est que depuis Peter Pan les contes pour enfants ne poussent plus à grandir ou alors à seulement atteindre un pseudo-âge adulte (elle dira que c'est celui du Capitaine Crochet). Dire que tous les contes pour enfants adoptent cette structure est bien évidemment exagéré, mais il faut reconnaître que ce schéma type Peter Pan peut se retrouver dans énormément de livres dits "pour enfants".

Cani développe l'idée que Harry Potter est construit selon une structure baroque en trompe l'oeil qui parvient d'autant plus à avoir un véritable pouvoir initiatique pour les lecteurs qu'il commence par les entretenir dans l'illusion qu'on leur donne le monde imaginaire qu'ils attendent. En gros, Rowling utiliserait un trompe l'oeil pour en combattre un autre, elle donnerait l'illusion d'un pays imaginaire (cf. Peter Pan) pour combattre les romans dont la structure est seulement pseudo-initiatique.

L'un des arguments les plus intéressants de Cani se trouve dans le temps d'écriture et donc de lecture que suppose la septologie. On ne peux pas grandir sans que du temps passe. Pour la première fois, un écrivain a, selon Cani, plannifié de bout en bout un roman afin qu'il joue ce rôle dans la durée.

Il est clair que l'une des raisons qui m'ont fait apprécier Harry Potter est exposée dans ce bouquin. Et je trouve que, malgré quelque exagérations sans doute nécessaires pour que sa position reste extrêmement claire, Cani présente tout ça de façon très intéressante.

Quant au débat plus large de savoir si tous les contes initiatiques guident le jeune lecteur vers l'âge adulte, c'est un débat qui pourrait certes durer, mais je suis d'accord pour dire, avec Cani, que beaucoup ne sont en fait que des miroirs du RisèD qui ne nous donnent que des illusions de voyage initiatique. A mon avis, c'est le cas, entre autres, de Bilbo (la vraie rupture se situant dans le Seigneur des Anneaux qui n'a pas été écrit pour les enfants !). De même, j'ai spontanément pensé aux Royaumes du Nord de Pullman avant de réaliser qu'il ne pensait pas écrire pour les enfants. Mais il est vrai que je ne connais pas, loin de là, assez de littérature dite "jeunesse" pour argumenter longtemps.


Le journal Le Monde publie aujourd'hui un petit article sur le livre de Cani dans son édition internet. A ne lire qu'après la lecture du tome 7 (raison pour laquelle je ne mets pas de lien).
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D-VO-Vivant